Les étoiles brillaient dans le firmament à présent, le crépuscule avait laissé place à une nuit sans lune.
Assis sur ce quai humide depuis des heures réfléchissant à son sort, Poulp se demandait ce qu'il ferait de sa peau dans les jours qui viennent. Une orgie avec des filles de l'Est ? Non probablement pas, cela lui rappellerait trop ses camarades qui viennent de partir. Un concours de beuverie ? Bof, il n'avait pas les idées bien claires pour boire à outrance ce soir, cela se finirait probablement mal, en bagarre ou d'un coup de couteau dans le dos pour un mot déplacé à un de ces ivrognes.
- Et si j'allais retrouver la belle rousse pour qu'elle me fasse oublier tout mes malheurs ? pensa t-il.
Rien de mieux qu'une nuit avec une fille voluptueuse pour se rappeler comme il est bon de vivre. Il faut que je retrouve ce rade qui s'appelle "Le Dockers" d'abord, peut-être qu'ils sauront où elle se trouve.
Rien de plus facile que de trouver un bar la nuit dans le vieux port, il suffit de suivre les marins ivres et les traces de vomi. Reste à savoir si ces traces l'emmènerait au bon troquet ... Par chance il tomba tout de suite sur cet établissement, un vieux bâtiment biscornu qui ne devait tenir que par la force de Sigmar tellement il avait l'air de tomber en désuétude. Ce troquet n'était plus en phase avec la société moderne qui était apparue ces dernières années dans cette ville fluviale du Stirland.
- Un p'tit coup de neuf lui ferait pas de mal ! Bon sang si j'ouvre la porte tout s'écroule !
Il leva les yeux et vit l'enseigne du bar, attachée grossièrement à un bout de bois horizontal avec du cordage marin, qui semblait flotter tel un drapeau à cause de la force du vent cette nuit là.
Il se questionna longuement :
- J'y vais ? J'y vais pas ? Je rentre ? Je rentre pas ?
Allez j'y vais !
Au moment où il s’apprêtait à rentrer dans le bar, la porte s'ouvrit et une espèce d'ivrogne immonde en sortit, titubant tel un boiteux, tombant dans les ordures disséminées par terre à côté de l'entrée et vomissant tout ce qu'il avait ingéré dans son rade favori.
- Charmant ! lança Poulp
- Hééééhooooooo aaaaaah ... blurp. Quesstatoua !? répondit l'ivrogne
Un relan de vomi plus tard il s'allongea dans les ordures pour sans doute faire sa nuit ici, dans les immondices.
Poulp rentra dans le Dockers, la luminosité était très faible, voire inexistante. On distinguait à peine les clients et encore moins le comptoir. Il s'avança vers ce dernier d'un pas plutôt lent pour éviter de trébucher sur une quelconque épave de bistrot. La plupart de la populace de cette taverne était composée de nabots bruyants et sales. Au comptoir, un nain grisonnant et bedonnant qui essuyait des verres en dévisageant Poulp.
- Qu'est-ce que je lui sers ? demanda le nain.
- Une Bugman première pression l'ami ! ordonna Poulp.
Il valait mieux ne pas s'attirer d'ennuis en commandant autre chose que de la bière ici, il était venu chercher la rouquine, pas la bagarre.
- C'est parti ! Une bière pour le péteux ! rétorqua le tavernier
- Qui ? Quoi ? s'exclama Poulp
- Non rien, répondit le nabot en lui servant son godet.
Attrapant le bras du tavernier au moment où il lâchait le verre il lui posa sa question :
- Dites moi l'ami, je cherche une fille de joie. Une rousse que j'ai, il me semble, rencontré ici la nuit dernière. Des seins comme des melons, douce avec ses clients et sachant manier ses doigts comme nulle autre.
- Il doit parler de Fanny le monsieur, répondit le nain. C'est ma fille, elle est au fond là bas avec des clients réguliers. Elle fait bien son boulot, depuis ce matin ils ont presque claqués 1 pièce d'or ces pigeons.
Scrutant le fond de la taverne, Poulp remarqua que les clients dont parlait le nabot n'était autre que les hooligans à crête rouge. Au nombre de quatre il manquait leur chef, celui à bande blanche au milieu de la coloration rouge. A leurs côtés, une naine rousse avec une poitrine exubérante rehaussée par une gaine qui devait la faire souffrir terriblement tant elle avait l'air serrée. Ses joues bien rouges et poudrées laissaient apparaître malgré tout quelques rossées sans doute données par son père ou des clients un peu trop emmechés.
- Bon sang j'ai quand même pas pu me taper ce laideron ? s'exclama Poulp. Ses souvenirs de la fille étaient si obscurs qu'il ne savait plus lui-même si il était capable de monter sur une chose si affreuse.
- Quoi ? demanda le tavernier.
- Non rien ...
Bon je ne vais pas devoir m'éterniser ici, pensa t-il. Si ces balourds me reconnaissent ça va mal se finir et j'ai d'autres chats à fouetter.
D'un coup la lumière devint plus vive et dans le fond de la pièce un rideau s'ouvrit pour laisser entrevoir une estrade avec un groupe de musiciens se tenant sur celle-ci.
Le chanteur s'avança et se mit à beugler :
- Salut on est les Brutal Dwarfs et on va vous jouer votre morceau préféré : FUCK AN ELF !
Un tintamarre inaudible commença, les nabots sur la scène avaient sans doute dans l'intention de rendre sourde toute l'assistance ce soir tellement leur musique était forte.
** MUSIQUE **
On pouvait quand même entendre les paroles du chanteur dans cette cacophonie :
"Fuck an elf, fuck an elf"
"Fuck an elf todaaaaaaaay"
"How much fun is it to fuck"
"An elf until it's dead"
"Kick him in the head"
"Beat him in the balls"
"Jump off of his head"
"WOOOOOOOW"
"How much fun is it to fuck"
"An elf until it's dead !!"
Son godet terminé en une gorgée, Poulp frappa son verre violemment contre le comptoir et fit claquer sa langue :
- Raaah ! C'est bon mais ça pique, affirma t-il
- Hey ! Mais c'est ma taffiole de service nan ? fit une voix derrière lui. C'était le chef de la bande de nabots qui sortait des toilettes, détail qu'avais omis d'observer Poulp. Il reprit :
- Je t'avais pas dit de ne plus croiser mon chemin ? T'es complètement con ou quoi de venir dans ma taverne en plus. Hahahaha regardez moi ça les gars ! Je crois bien qu'on tient là un rare spécimen d'attardé probablement engendré entre frères et soeurs ... ou alors t'es plus courageux que t'en as l'air, conclut-il en observant Poulp d'un oeil, le sourcil poilu et relevé.
- Je crois que je me suis trompé d'adresse en fait, répondit Poulp. Je voulais simplement retrouver une fille mais vraisemblablement il n'y a pas ce que je recherche ici. Les mots étaient sortis trop rapidement de sa bouche, il savait pertinemment que le nabot ne cherchait qu'a le provoquer. Il aurait été plus habile de faire des courbettes et de s'en aller la queue entre les jambes.
- Alors quoi ? Tu viens ici pour insulter mes gonzesses maintenant ? Tu crois que tu peux venir chez moi et me manquer de respect ? demanda t-il sans réellement attendre de réponse. Cette fois la coupe est pleine mec, tu vas payer ! Tu vas payer pour les heures qu'on a perdu à supporter ton équipe de guignols et pour ton manque de discernement.
Entre temps les quatre autres s'étaient rapprochés et se faisaient menaçant, l'alcool n'aidant pas à rester courtois tout le monde le sait.
- Tu préfères mourir comment ? lui demanda le chef de la bande en retroussant les manches de son gilet.
- A 80 ans, dans un bordel, ivre, avec ma bite dans la bouche d'une prostituée, répondit Poulp
Tout les nains éclatèrent de rire.
- MOUHAHAHAHAH ! Elle est bien bonne !
- J'ai connu un frère qui avait la langue bien pendue comme toi, affirma le tavernier. Tyrion qu'il s'appelait, il a fini avec la langue coupée tellement il nous exaspérait.
- T'occupes l'aubergiste ! cria le nabot au tenancier. C'est notre affaire et celui là on va s'en occuper comme il faut.
Sur ces mots il donna un coup de poing dans les valseuses de Poulp, ce dernier tomba sur les genoux se tenant les parties pour calmer la douleur. Sa tête et son buste partirent en avant dans le mouvement et le nabot en profita pour lui mettre un coup de genoux dans la mâchoire mettant le coach KO. Son corps tomba a la renverse à cause de la force du coup et resta allongé là pendant plusieurs minutes.
Il entendait les nabots s'agiter autour de lui mais sans vraiment comprendre ce qui se disait. Tout devenait de plus en plus flou ... la lumière baissait tandis que ses yeux se fermaient ... et puis d'un coup plus rien : le néant l'enveloppait.
....
Quelques temps plus tard, sans vraiment savoir combien d'heures s'étaient écoulés, Poulp se réveilla, assis sur une chaise, avec un mal de crâne pas possible. Ses yeux enflés par les coups dont les nabots l'avaient roués s'ouvrirent doucement ... sur un terrain de Blood Bowl !! Il essaya de se relever mais il était semble t-il attaché par de solides liens à la chaise.
Une fois ses yeux complètement remis, il distingua plus nettement au centre du terrain onze nains en train de faire des étirements dans le plus grand silence.
- Qu'est-ce que je fais ici ?! s'écria t-il
C'est quoi encore ce bordel ?!
Personne ne daigna se retourner chez les nains. Ils firent mine de ne rien avoir entendu.
- Calme toi donc l'ami ! fit une voix derrière lui.
Poulp surpris, lâcha un léger cri de pucelle. Le personnage qui avait parlé se mit face à lui. C'était le tavernier du Dockers !
Tu sembles surpris ? Tu ne devrais pas. Tu vois tout ces ptits gars là bas qui s'entrainent dur ? demanda t'il en les désignant d'un signe de tête. Ils me doivent un sacré paquet de blé depuis qu'ils picolent dans mon rade.
- Et alors ? questionna Poulp, agacé. Quel est le rapport avec moi ?
- Alors je connais ta réputation de coach. T'es peut-être un branque mais t'es pas non plus un cave.
- Bon sang je comprend rien à ce que vous dites !
- Y a rien à comprendre le péteux ! Pour payer la lourde les gars se sont mis d'accord pour monter une équipe sponsorisée par mon rade et tout les gains me seront reversés. Il ne manquait qu'un coach pour lancer la machine. Et je crois qu'on l'a trouvé.
- Qu'est-ce qui vous fait croire que je vais accepter ?
Le tavernier se rapprocha de Poulp, à quelques pouces seulement, l'odeur du houblon et du malt sévèrement incrusté dans la barbe du nain piquait les yeux endoloris du coach mais il les garda ouvert pour ne pas perdre la face.
- Si tu refuses je te donne en pâture à ces gars. Certains d'entre eux voulaient te jeter dans la flotte, d'autres voulaient te découper en morceaux et se servir de toi comme appât pour pécher. J'ai décidé de t'épargner, tu devrais me remercier.
- C'est vraiment trop gentil ...
Et qu'est-ce qui vous fait croire que je ne vais pas faire exprès de les faire perdre ?
La moutarde montait au nez du nain. Cela se ressentait aux pores de son nez qui se dilataient plus qu'à l'accoutumée. Il asséna un violent coup de tête au pauvre Poulp qui tomba à la renverse toujours attaché à sa chaise.
- Bon ... vous avez de solides arguments, rétorqua Poulp qui sentait que son nez saignait à flots sur la pelouse du terrain. Je vais voir ce que je peux faire. Mais il va falloir me laisser les mains libres, si je peux m'exprimer ainsi, rien à voir avec ma situation actuelle. J'ai besoin de connaitre les joueurs et de savoir de quoi ils sont capables.
- Et bien voilà !! Tu vois qu'on peut négocier tout les deux.
- Pourquoi ne pas m'emmener vers eux pour que je les rencontre ?
- Non pas maintenant ! répondit le tavernier. Ils décuvent et auront très soif après, j'ai pas besoin que tu les énerves encore.
Pis tu m'agaces. C'est moi qui donne les ordre ici.
Sur ces mots il envoya son pied dans la mâchoire de Poulp qui n'en demandait pas moins pour retomber dans les pommes et de nouveau sombrer dans les méandres de ses mésaventures.